mercredi 26 décembre 2012

Reflexions sur la BD numérique


 Reflexions sur la BD numérique

Quand Sébastien Célimon est devenu responsable chez Glénat de la BD numérique, Clementine (alias Klem) m'a sortie : "tu ne crois pas à la bd numérique de toute façon!"
Le problème n'est pas que je crois ou ne crois pas, c'est plutôt : quelle BD numérique pour le futur? Le champs est vierge ! C'est comme si on revenait à l'an zéro ! D'ailleurs faisons pareil avec la bd de maintenant…
Et dès le départ les problèmes surgissent! Vous ne me croyez-pas? Prenez donc 10 historiens de la bd et demandez leur qui est l'inventeur de la 1 ère BD… Lascaux? Tapisserie de la reine Mathilde? Enluminures? Estampes Japonaises? Töpfer ? Outcault ? chacun d'eux vous fera tout un long exposé du pourquoi du comment c'est ou ce n'est pas une BD et que l'autre c'en est une!… Au final ils ont dit Outcault, mais officieusement certain reviendront sur Lascaux….
Et c'est bien là le problème !  On peut parler théâtre, ciné, littérature, il y a un certain canevas qui reste plus ou moins selon le médium/l'endroit… Mais la BD? Si il n'y avait pas une production commerciale qui nivelait tout on pourrait très bien voir des bd avec juste des formes géométriques ou sur un support grand comme un stade (et même plus !). Je pense que l'art narratif graphique ne doit pas être résumé à un simple sigle "BD" alors qu'il a une potentialité sans aucune mesure par rapport aux autres arts/médiums ! Je me bats depuis 1999 là-dessus et je ne cesserais pas de me battre. Rendons donc la place aux Artistes en art narratif graphique qu'ils devraient avoir, ils sont : scénariste, dialoguiste,  dessinateur, coloriste, metteur en scène, illustrateur et parfois même concepteur, éditeur de leur propre livre… Connaissez-vous des métiers où une seule personne a autant de casquettes différentes? Avec la BD numérique ils devront être aussi concepteur 2D/3D, réalisateur, musicien, vidéaste, monteur et j'en passe tant la liste sera longue… et au bout il y a quoi? Un éditeur qui te dit "coco tes planches sont belles, mais j'ai pas un rond…je te le tire à 1 000  et tu touches 7% de droits sur les exemplaires vendus dans 1 an…ok coco?…et heuuuu tu peux me faire des couleurs parce que le N&B ça se vend pas !…ouais ! ouais ! je sais c'est un truc artistique mais c'est ça ou sinon tu te tires…"mais ceci est aussi un autre long et vaste sujet qui toutefois reviendra souvent dans cet article…
Bref, pour faire de l'art narratif numérique "réel", il faudra créer un univers que nous connaissons parfaitement avec tout ses codes mais qui sera parallèle grâce au support numérique.
Le problème est "quel support ?"

Une petite ou une grande ?

La BD numérique dépend de nouveaux objets : l'ordinateur traditionnel mais surtout la tablette numérique. Nous en avons des petits (smartphone) de 4 pouces, des mini-tablettes de 7 à 9 pouces et des grandes de plus de 10 pouces… Attention je ne parle pas de qualité d'image ni d'interactivité mais juste de diagonale.
Autant on peut lire assez facilement un asterix pleine planche sur un I-pad maxi ou mini (avec de bonnes lunettes ou une bonne vue), autant sur un i-phone ça devient vite galère !
Du coup on invente des programmes à la con pour que tout tienne dans un format 4 pouces avec ou sans interactivité interne qui fait ou pas grimper le prix d'achat du fichier (et éventuellement du logiciel de lecture)…
Ca me ramène 25 ans en arrière quand le livre de poche se mettait à publier de grande série BD en mini format, détruisant la narration graphique de l'artiste ou en tailladant les cadres. Pour que le néophyte comprenne, c'est comme si on laissait les tableaux géants du "radeau de la méduse" ou du "sacre de napoléon" aux mains de Valérie Damidot qui pour l'afficher dans votre studio de 10 m2, découpe les principales images en jetant le reste… Effrayant n'est-il pas?
Alors pourquoi on laisserait faire à des éditeurs ce qu'on refuserait à Damidot? Ah oui… c'est vrai que la BD ce n'est pas de l'art pour une majorité de personnes ! BD= petits Mickey… bon…ok… pourtant je parie que si Damidot venait pour découper les dessins du père Disney on crierait "au scandale!"…
Bref tout ça pour dire que la BD, est avant tout un format et une narration adaptative! Donc si il y a BD numérique, il faut qu'un ABDN (artiste de bd numérique) la travaille  par rapport à son format de lecture FINALE. Ce qui veut dire : Une narration différente par format de tablette! Donc beaucoup de travail et d'investissement pour toucher un marché naissant.

Contenant et contenu…

Revenons en arrière et essayons de faire une comparaison avec la presse et l'imprimerie.
  • 1455 Premier livre imprimé
  • 1605 Premier journal
  • Jusqu'en 1907 le monde était informé par la presse papier. Les articles pouvant faire plusieurs colonnes, même plusieurs grandes pages agrémentés parfois de dessins ou de photos.
  • Après 1907-1920 les émissions de radio prirent la suite… champs vierge à défricher, les "codes" de la radio furent malgré tout très vites trouvés. Au même moment des infos filmées "sous titrées" étaient diffusées au cinéma. La presse papier reste pour développer les sujets…
  • 1950 : La télé rentre dans les foyers. radio et cinéma lui offre certains codes et  pendant ce temps là, la presse papier reste toujours pour approfondir les sujets…
  • 1995 : Arrivée du net accessible au plus grand nombre (en France). Télé, radio, presse sentent un tremblement mais rien de grave pour eux, c'était sans compter sur l'arrivée de l'ADSL en 2001… Tout devenait accessible ! Et comme en plus internet a horreur du vide, des petits malins ont profité de la brèche… Google d'abord….et les autres… tout devenant gratuit, téléchargeable et visionnable à volonté…. Il n'y avait plus de paroles monolithiques…juste des paroles multiples!
  • 31 décembre 2012 le "new york post", emblème suprême du journalisme, va arrêter sa diffusion papier pour le numérique avec enrichissement de contenus et nouveaux codes de lecture avec participation effective du lecteur.
Je pense que cette date marquera l'avenir de toute l'imprimerie… Mais est-ce que ce sera sa fin ou pas ? Je ne suis pas devin !…
Par contre je peux essayer de pronostiquer la suite pour la BD…
Actuellement, en europe, le principal support BD c'est le papier, quelque soit le format. Dans d'autre pays, le papier a été quasiment abandonné ou juste utilisé pour des tirages "luxe". Tout passant à présent par le numérique et les tablettes…
Le problème est quel type  de contenu-format de fichier- pour le contenant ?
Par internet en lecture direct (avec ou sans payement)? Moyen idéal pour actualiser, fidéliser le lecteur avec possibilité illimitée d'hyperliens et surtout compatibilité maximum avec tous types de contenants…
Fichier PDF/e pub etc avec ou sans DRM? Devient le standard, mais oblige à réfléchir sur la taille du contenant final  en amont… impossibilité de mise à jour ou de fidélisation hebdomadaire.. parfois incompatibilité avec certain contenant…
Fichier flash ? Illisible sur certaine marque de contenant mais malgré tout grande possibilité de mixage d'image et de son avec une interactivité complète et un "scénario" que peut diriger l'auteur !
Fichier video ? Grande compatibilité, déroulement du "scénario" linéaire, possibilité narrative multiple, DRM éventuels mais par contre impossibilité d'hyperliens et d'enrichissement de contenu…
Beaucoup de possibilités diverses avec du pour ou du contre… le problème est qu'actuellement on privilégie la simplicité avec le format e-pub alors qu'on pourrait aller mille fois plus loin !
Tout dépendra du désir du public…et des éditeurs!

Qui est le maitre ?

Qui décidera de l'avenir de la BD numérique ? On pourrait penser que ce seront les éditeurs vu que ce seront eux qui donneront le "la", mais c'est une erreur! La jeune génération actuelle sait se servir d'un ordinateur. Ils sont formés aux multimédias, à l'hypertext, ils sont curieux et décident vite si ça leur conviennent ou pas… tout comme les ABDN féru de technologie ! Ce seront aussi les auteurs avec leurs "folies" de plonger le  "lecteur" dans leur univers qui fera la différence. Un ABDN pourra plus ou moins facilement fabriquer le fichier et le mettre en distribution si il connait tous les rouages de la "machinerie éditoriale". Malgré tout, l'éditeur servira encore de "garant" de qualité et pourra "promotionner", jusqu'à l'excès l'oeuvre numérique pour un meilleur retour sur investissement ! Tout dépendra de la "consommation" du lecteur et du type de lecteur! Par exemple, si le lectorat sont des "jeteurs" ils prendront des oeuvres numériques téléchargées légalement ou pas, les liront une fois et les jetteront aussitôt! Ce qui veut dire aussi oeuvre de masse dans le plus pur sens du terme! En gros, si on prend en parallèle le cinéma : blockbuster facile à lire, pour tout public, en oneshot mais avec possibilité de suites, identifiable partout, pub à excès et gadget à gogo… fichier qui sera vite et bien vendu mais aussi certainement autant piraté…tout dépendra du fichier d'origine….
Si le lectorat sont des acheteurs-collectionneur, il faudra aller plus loin qu'un simple fichier et donc réaliser des préquel, spin-off et j'en passe à des rythme régulier et rapide vu que le lecteur est certes accro mais vite captif pour d'autre série. Si je prends encore le parallèle cinématographique, il faudra que les 6 star wars soient réalisée en 1 an de temps (environ) ! Il faudra aussi penser à des supports durables éventuellement…
Enfin, et çà je l'ai découvert récemment grâce à une amie, il y a l'effet "bernie"(petit nom de mon amie). C'est quoi l'effet "bernie"? c'est non seulement d'être fan de l'oeuvre (éventuellement de l'auteur) mais surtout de se plonger  totalement dans l'image grâce au zoomage maxi pour voir tous les petits détails…. Au départ je croyais que c'était un cas unique, mais en montrant  un de mes fichiers à plusieurs personnes via ma tablette 7 pouces, plusieurs on fait l'effet Bernie! Ce qui veut dire au bout : travail extrême sur l'image mais aussi sur sa définition et donc, alourdissement considérable des fichiers ! Je parle pas aussi de la définition des contenants comme par exemple les écrans "rétinas" qui pourront apporter un plus mais aussi une "segmentarisation"  de l'oeuvre numérique !…
Qui décidera ? Je ne suis toujours pas devin et pourtant je pense que ce sera le temps… car entre des éditeurs frileux ou sans fric (ou les deux!) et la dérive exponentiel  de la technologie, ce sera le consommateur et éventuellement les grands groupes technologiques qui auront le fin mot..tenez…pourquoi pas une tablette avec liseuse 3 d ? pourquoi pas un lecteur multi sens et j'en passe !…. rappelez-vous que l'i-pad n'a même pas 3 ans !…et qu'au moment où je vous parle l'OS windows 7, après 3 ans d'existence aurait enfin battu, en utilisateurs, windows XP qui date de… 2001 ! Tout est une question de temps et de technologie…

Et l'auteur dans tout çà ?

La vie de l'ABDN va être…compliqué ! Déjà que ce n'est pas facile pour un auteur de BD sur papier!…  Résumons rapidement la vie d'un auteur  jusqu'à 2010:
  • 1 il a un projet
  • 2 il présente le projet à des éditeurs
  • 3 un éditeur lui dit "oui" => il recevra soit un a-valoir pour la fabrication de l'album dans le meilleur des cas, soit il recevra ses droits d'auteurs sur les exemplaires vendus dans le pire des cas (quoique le pire ça peut être l'éditeur qui paye pas ou fait faillite)
  • les éditeurs lui disent "non" l'auteur si il croit en son projet se lancera éventuellement dans l'auto-édition ou recommencera à zéro

La vie d'un auteur à présent
  • 1 il a un projet
  • 2 il présente le projet à des éditeurs
  • 3 un éditeur lui dit "oui" => il recevra soit un a-valoir pour la fabrication de l'album dans le meilleur des cas, soit il recevra ses droits d'auteurs sur les exemplaires vendus dans le pire des cas (quoique le pire ça peut être l'éditeur qui paye pas ou fait faillite) jusque là rien ne change ! c'est la suite qui change
  • les éditeurs lui disent "non" l'auteur si il croit en son projet se lancera éventuellement dans l'auto-édition y compris numérique ou via des sites participatifs ou recommencera à zéro
  • Un éditeur lui dit "oui mais"…l'éditeur prendra non pas le projet à l'état de création mais bel et bien fini; puis il le mettra sur internet et verra les ventes..selon si ça marche, l'auteur aura éventuellement l'édition papier et les droits avenants…mais il n'aura rien pendant la création des planches (sauf mention contraire dans le contrat)

Extrapolons la vie d'un ABDN (auteur de BD numérique)
  • 1 il a un projet
  • 2 il présente le projet à des éditeurs
  • 3 un éditeur lui dit "oui" => il recevra soit un a-valoir pour la fabrication du fichier numérique dans un cas royal, ou il devra laisser son projet à une équipe de developpeurs et recevra un droit d'auteur symbolique sur chaque téléchargement en souhaitant qu'il partent  des centaines de milliers de fois! Enfin il a fabriqué tout son fichier et l'éditeur ne fait que le vendre…il recevra ses droits selon les ventes et éventuellement des droits à l'achat du fichier par l'éditeur…
  • les éditeurs lui disent "non" l'auteur si il croit en son projet se lancera éventuellement dans l'auto-édition numérique mais avec des difficultés pour la vente sauf si l'auteur est connu ou reconnu ou si l'oeuvre fait le "buzz" . Il peut aussi recommencer à zéro!

En gros, vous avez compris, charge à l'artiste lambda de créer soi-même son oeuvre et se démerdant avec le RSA ou autre pour pouvoir vivre pendant ce temps de création mais aussi en attendant la réceptions des droits….mais là encore ça blesse ! Si les fichiers sont par exemple à 1,99 à l'achat pour le lecteur, l'éditeur touchera environ entre 1,40 et 1,16 € par téléchargement.. Si on garde le barème actuel des droits d'auteurs papier soit 7% environ, l'auteur recevra (toujours environ) 0,10 €/ album vendu… et si il en vend 1000, il recevra 100 € pour son travail… qui est prêt à travailler 9 mois pour 100 €?
Donc oui, l'éditeur devra mettre la main à la poche pour créer des BD numériques originales… et les places seront chers ! Alors en attendant ils vont rentabiliser leur catalogue en "numérisant" de vieilles BD  et en les vendant en attendant que le "marché" soit viable… Dans cette affaire, ce sera le premier qui aura le courage de dépenser et miser sur la nouveauté qui réussira à capter le marché…mais à lui aussi d'être innovant et avoir une perspective de l'avenir de la BD numérique frémissant !…

Finalement, est ce que je crois ou pas à la BD numérique?

Comme vous avez pu lire, j'ai exposé toutes les pistes et argumentations avec le pour et le contre… Et comme je n'ai pas cessé de le dire, je ne suis pas devin ! Par contre j'aime toujours regarder derrière moi et extrapoler…
Souvenez-vous de ce "produit culturel" :


  • 1887 le disque est né !
  • 1902 le vinyle est créé
  • 1955 la stéréo est née
  • 1960 on imprime les paroles des chansons sur les pochettes de disque
  • 1981 nait le CD
  • 1985 les VHS musicaux et clip video apparaissent à la télé et dans les bacs
  • 1996 les dvd musical débarquent sur le marché
  • 1997 le système peer to peer né
  • 2000 une piste video est parfois intégrée au cd
  • 2005 vente de fichier mp3, écoute gratuite sur certain site, ajout de tag (avec paroles incorporées dans le fichier par exemple)
  • 2010 on vend certain cd ET DVD  dans une même pochette
  • 2012 hausse consécutive de la vente des…vinyles
Si on calque cet exemple sur la BD on peut imaginer qu'il y aura 2 marchés de l'édition..
Le premier, un marché numérique, et un second plus traditionnel sur papier !
Sur le second, je n'ai pas à m'inquiéter, il y aura toujours des fous furieux qui aimeront le support papier et qui publieront a une petite échelle des bd sous des présentations plus ou moins luxueuse…
Par contre sur le premier je ne sais quoi penser! peut-être les éditeurs arriveront à un compromis : fichier numérique avec publication à la demande au final en gardant un format style e-pub/pdf… ou innovation et création sans limite…
Encore une fois ce sera le temps, l'argent et les lecteurs qui décideront…la question que personne ne se pose  c'est "est-ce qu'on continuera de lire? la lecture pouvant se faire à travers un fichier son…"
C'est bien ce que je disais : la bd numérique est un champs vierge qu'il faut cultiver…mais quel graine y mettre?
Moi j'ai mon idée, développé légèrement plus haut, mais je ne suis un jusqu'au boutiste dans l'art…donc un mauvais exemple…quoique...

© Manù 2012 22/11